86. Réa, de Pierre Gondran dit Remoux Éditions de L’Éclat, 2023, 64 pages, 5€
Réa n’est pas un prénom peu ou prou surréaliste (on pense à Ré Soupault), même si le fait de vouloir personnaliser, féminiser une expérience a pu effleurer l’auteur. Non. Comme les poèmes qui portent tous ce titre numéroté par ordre d’apparition, il constitue la réduction de réanimation, une expérience qu’a connue l’auteur et dont il rend compte ici.
Comme le corps du malade dans son lit d’hôpital, les mots sont à l’étroit dans ce dispositif, ce protocole pour rester dans la terminologie médicale, sur lequel s’explique d’emblée l’auteur : ces rectangles rigoureux de texte représentent le lit qui se découpe dans l’espace blanc de la page et de la chambre. Et toujours ce peu de lattes pour les porter, ces douze lignes qui évoquent la contrainte de l’alexandrin. Dans ce cadre limité se forment des souvenirs de l’enfance : « fiché dans le s/ol sec du champ/moissonné de l’/enfance, un inu/tile épouvantai/l », les manifestations de la douleur, les moments vides et errants, le lent retour vers la conscience. Pourtant l’auteur ne renonce jamais à une parfaite formulation lexicale et syntaxique. Seul la double justification typographique déchire la phrase, du fer à gauche au fer à droite n’autorisant au mieux qu’une quinzaine de signes et d’espaces. Les lignes saccadées, comme le titre tronqué ou le morcellement des mots sont aussi la métaphore du souffle court et des pensées délabrées du malade qui sort peu à peu de l’endormissement dans lequel il avait été chimiquement plongé. De nombreux termes médicaux viennent émailler les pensées et les phrases du malade, rappel s’il en était besoin de sa condition, mais aussi de sa perméabilité à l’environnent médical.
Comme les 49 petits Kub Or de Pierre Alferi*, petits poèmes carrés pareils à ces fameuses boîtes de bouillon qui habitent joyeusement nos mémoires et qui emprisonnent mille merveilles, mots d’abord et souvenirs ou images ensuite, chromos et saynètes en tous genres, les 49 blocs de texte (le 50e échappe à cette forme) de Pierre Gondran dit Remoux viennent casser notre lecture mais aussi la border, comme on borde un lit. Corseter le poème avec des règles plus strictes que la versification classique, lui imposer un cadre presque pictural, tel est le principe, mais en plus gratuit, plus mécanique, que ceux qui président aux gageures oulipiennes.
L’incantation propre aux proses de Jean-Luc Parant, l’espèce de réversibilité permanente entre les yeux et la Terre, viennent aussi un instant habiter les poèmes de Réa : « mes yeux quelqu/e part regarde/nt le monde et/je les regarde/qui regardent l/e monde ». Jean-Luc Parant, merveilleux fabricant de boules et de nombreux textes sur les yeux, longtemps monnaie d’échange dans son petit royaume du Bout des Bordes, puis à Sainte-Croix-Volvestre. **
Six poèmes de Réa s’ouvrent sur ces mots : « rappelle-toi l’/instant entre l/e rien et le ré/veil. » L’un d’eux se prolonge ainsi : « le temps/suspendu débord/e du noir et s’/écoule dans le/temps vrai ». Immobilisé, « les membres sus/pendus à d’impo/santes potences », la réalité, le peu qui en est offert, se mêle à l’attente, au lourd paquetage et aux noeuds du corps encore douloureux. Le lit devient un navire en perdition « lit-/jonque, lit-fré/gâte, aux voiles/rituellement ch/angées au matin/ de ses circum-/navigations… » C’est bientôt l’abandon des vertiges, le rappel des promenades « dans les fri/ches à ru » et « le ciel intact/d’un été de l’enfance » puis l’accès au « seuil nu de l’a/près », et enfin dans le dernier poème, l’affranchissement du cadre étroit de la couche et des grands draps blancs silencieux.
*P.O.L, avec sept photos de Suzanne Doppelt, 1994
**parmi la centaine de livres qu’il a écrits, citons ces titres : Le Mot boules, Le Mot yeux (Fata morgana, 1980) dont sont extraites ces citations parmi tant d’autres possibles : « j’écris sur les yeux et je fabrique des boules mais j’essaie de figer mes yeux dans mes boules jusqu’à ce qu’elles deviennent des globes terrestres. »
Jean-Luc Parant nous a quitté
l’été dernier.