73. Le lièvre de Vatanen, d’Arto Paasilinna, traduction du finnois par Anne Colin du Terrail, folio, 2016, 224 pages, 8,10€ chronique 2
Ce récit fait songer au tracé rapide et joyeux d’une comète qui nous fait un clin d’oeil et nous invite à la rejoindre. Pérégrination, épopée même, du protagoniste Vatanen qui traverse la Finlande en marchant du sud vers le nord avec fraîcheur, comme imprégné subitement de la légèreté du présent à vivre.
Vatanen, journaliste désabusé, rentre d’une soirée professionnelle et, subitement, sans raison apparente, se met à suivre dans la forêt un levraut blessé et ne revient pas : « Il souleva le lièvre, l’installa soigneusement dans la poche de son veston et s’éloigna le long de la prairie vers le crépuscule naissant de la forêt ».
En communion avec cette nature lacustre, forestière, époustouflante de beauté primitive, accompagné de son fidèle compagnon, le levraut, Vatanen abandonne les tracas de sa vie futile, « …avec les années il n’avait même plus l’illusion de faire quelque chose d’utile. Il se contentait de faire ce qu’on exigeait de lui », pour découvrir la joie de la marche, de l’errance, des rencontres fortuites, du travail forestier et de la redécouverte profonde du sens de sa présence au monde.
C’est un roman picaresque où point déjà l’humour décalé de l’œuvre à venir d’Arto Paasilinna, « … le chauffeur de taxi demanda s’il pouvait aider à la cueillette des fleurs », ou bien : « … le lièvre sautillait silencieusement sur la piste, précédant le skieur comme un guide… ». L’histoire des tribulations de Vatanen et de son lièvre ne sont pas celles d’un chinois en Chine…, mais d’un finlandais en Finlande. Elles le conduiront au-delà même des frontières suite à l’imbroglio de son insensée course-poursuite après un ours joueur et agressif qui n’aime pas que l’on s’approprie son territoire : « … l’ours renifla le lièvre et prit la femme dans ses bras, de sorte qu’il y avait là trois créatures sur les genoux des unes des autres. ».
La langue d’Arto Paasilinna est désarmante par sa simplicité, sa rapidité et son efficacité pour faire ressentir au lecteur le bonheur de vivre au plus proche de la nature. Une identification immédiate à Vatanen nous envahit et c’est dans un bain de scintillements que nous prenons goût à la vie lacustre. Un des mystères et de la magie du récit réside dans la relation singulière et touchante de Vatanen avec son lièvre, « Vatanen faisait la conversation au lièvre qui l’écoutait religieusement sans rien comprendre ». Sans doute, ce contact privilégié est-il une métaphore en miroir de l’incapacité contemporaine à accepter que la meilleure part en nous est celle du respect pour le vivant sous toutes ses formes. Vivre en harmonie avec la nature permet de retrouver le présent de l’éternité.
La Cabane des Gorges Pantelantes, ou celle du Ruisseau-à-la-con, comme les personnalités fantasques du commissaire en retraite Hannikainen ou d’Irja, la jeune fermière meneuse de troupeau, nous habitent longtemps après avoir fini le livre. Nous sommes tous des Vatanen sans toujours en avoir suffisamment conscience et, surtout, sans le courage simple de poser en acte notre désir de partir à l’aventure qui est avant tout un état d’esprit de liberté reconquise. Cette aventure peut commencer juste au bout de la rue, même pour quelques instants volés à la folie du monde…
Le lièvre de Vatanen est un roman initiatique, un hymne au sens de l’existence où simplicité, modestie, écoute et respect de l’environnement unissent nos regards à perte de vue.
Un vrai bonheur !