Touché, de Pascalle Monnier, éditions P.O.L, 2023, 64 pages, 13€

61. Touché, de Pascalle Monnier, éditions P.O.L, 2023, 64 pages, 13€

De Pascalle Monnier, nous savons peu de choses. Et la toile encore moins. Sa bibliographie fait état de trois autres livres, deux publiés précédemment chez P.O.L*, le troisième aux Éditions Confluences**. Ce dernier, soumis à un apparent paradoxe et qui s’offre comme le commentaire d’une photographie de Larry Clark est aussi son plus autobiographique, servi par des commentaires, des comparaisons d’une pertinence et d’une originalité parfaites. Aucun n’excède la centaine de pages. Ce qui frappe, en dehors de leur rareté au regard du fait qu’ils ont été écrits sur une période de près de trente ans, c’est qu’ils semblent ressortir de genres très différents. Une biographie poétique et détournée pour le premier, une nouvelle maritime comme réduite à la dimension d’un bateau en bouteille, avec son et lumière onirique, un commentaire d’une œuvre plastique. On sait par ailleurs qu’elle a créé avec Olivier Cadiot et Éric Audinet les éditions Quffi & Fluk, où est publié son premier texte « le plus court roman du monde : Les pirates de La Havane », dixit une invitation à une rencontre au Molière-Seine d’Aquitaine le 28 mars, de quelle année nous ne le savons pas. On retrouve aussi sa présence avec TIM,BEN, un texte figurant dans une petite anthologie poétique*** d’Emmanuel Hocquard, et présenté comme tel : « On pourrait penser à des cartes postales de vacances ou à des tableaux de David Hockney ». Et puis au sommaire de la mythique Revue de littérature générale d’Olivier Cadiot et Pierre Alferi. Sa contribution****, qui s’ouvre sur une reproduction d’armure (celle de Bayard ?), se présente comme la retranscription d’un texte en ancien français de Chrétien de Troyes, nantie de commentaires en marge plus ou moins en rapport avec le texte de référence, dans une savoureuse démarcation. Enfin, elle a participé à l’aventure de la nouvelle traduction de La Bible, initiée par Frédéric Boyer, en s’attaquant aux Actes des Apôtres.

Avec Touché, après une épreuve dont il ne sera rien dit, l’auteure cherche à « congédier la vie ancienne » et réintégrer le monde. Elle constitue pour ce faire un viatique ou un vade-mecum, réunit des règles de conduite et de savoir vivre, « une to-do list ». Elle s’efforce d’activer ses capacités à l’oubli, de devenir meilleure et mieux armée, à la façon du preux chevalier Bayard, sans peur et sans reproche, en l’occurrence ceux qui nous encombrent et nous entravent. D’où ce livre de notes, de morales, de préceptes. De bonnes résolutions comme on dit : « Ne plus flotter dans la mélancolie et le renoncement comme on fait la planche trop longtemps dans une piscine par lassitude d’une nage sans destination. »

Ce livre de facture si neuve et si inattendue, auquel on pourrait justement accoler à la fois les termes de poésie ou de philosophie, pourrait rappeler par certains côtés les Maximes de la Rochefoucault, œuvre empreinte elle aussi d’un puissant pessimisme et où abondent les travers et calculs de l’âme humaine. S’y déploie aussi toute une panoplie d’évitements et de ruses pour se masquer à soi-même ses propres manques en même temps que sa profonde vanité, propres à la nature humaine. « Il est aussi facile de se tromper soi-même sans s’en apercevoir qu’il est difficile de tromper les autres sans qu’ils s’en aperçoivent. »*****

Le titre évoque ce jeu auquel nous jouions enfants, ces batailles navales où quelques carreaux hachurés sur le papier quadrillé symbolisaient une armada, notre force de frappe face à l’adversaire. Nous avouions « touché ! » quand l’autre joueur avait atteint une cible. Touché, oui, mais pas coulé ! Le petit carreau impacté sur le cahier d’écolier allait pourtant déchaîner un feu nourri alentour.

Et s’il est souvent question dans Touché de batailles (« bataille de Borodino, rencontre au camp du Drap d’Or ») sans compter les combats contre soi-même (« ne plus se vautrer dans la défaite »), difficile de mesurer quel bâtiment de la flotte a finalement été touché. Un aviso ?

Mais c’est bien de cela en tout cas qu’il s’agit : sortir indemne de tous les petits bombardements intensifs et symboliques. Et retrouver une nouvelle page blanche à la fin de la partie, à laisser vierge ou à remplir de figures allégoriques.

N’allez pas croire que ce mince ouvrage, éminemment littéraire, où sont cités l’espace de quelques pages Léonard de Vinci, Montaigne, Charlotte Brontë, Joyce, Mallarmé, puis bien d’autres, soit un rien docte ou ennuyeux. Bien au contraire. On y sourit souvent, ne serait-ce qu’à lire certaines citations dont nous retenons en guise d’amuse-bouche celle-ci, due à la belle Otero « La fortune ne vient pas en dormant seule ».

Mais c’est bien plus souvent l’émotion qui nous submerge. « Être si triste qu’on ne se désole plus de rien ». « Regarder avec terreur la solitude se répandre dans son existence ». Une solitude irréductible et ontologique étreint ces pages, que l’écriture, puis notre lecture, permettent de fixer, puis de partager et diluer. Ces notes, toutes écrites à l’infinitif, où ordres et contre-ordres se suivent parfois, comportent souvent aussi leur propre correctif, comme s’il fallait toujours viser l’exactitude, et la résolution possible des contraires. « Se donner des ordres à soi-même, comme Léonard de Vinci.

Désobéir aux ordres que l’on se donne à soi-même, contrairement à Léonard de Vinci ».

Car nul n’est tenu à être un autre. Mieux vaut « Être exemplaire./Être ordinaire ».

Parler de texte court semble soudain trop facile et ne rien dire. Car il contient sa propre extension, ne cesse de déployer ses orbes. Des ramifications se font jour, une structure, des thèmes, des pratiques. Quelque chose de contrapuntique préside à l’agencement de ces notes qui relève à la fois du naturel le plus spontané et du plus savant calcul. Alors, on ne cesse d’y revenir, comme si nous y avions oublié une part de nous-même, effleuré un mystère, hantés par l’inépuisable.

*Bayart, 1995, et Aviso, 2004
**De l’art de chasser au moyen des oiseaux: à partir d’une oeuvre de Larry Clark, 2014
***Tout le monde se ressemble, P.O.L, 1995, page 97.
****Mançonge, page 265, Tome 1, P.O.L, 1995
*****Maximes, XIX-115,1665