51. Contes grecs, d’E.T.A Hoffmann, éditions Cambourakis, traduction d’Edouard Degeorge, 2022, 190 pages, 10€ – chronique 2
Les deux contes, Les Méprises et les Mystères, furent écrits à l’extrême fin de la vie d’Hoffmann, décédé en 1823. Ils sont rassemblés sous le titre Contes grecs que viennent de publier les excellentes éditions Cambourakis en reprenant la traduction originale d’Edouard Degeorge de 1848.
Ces contes méconnus et complémentaires ne sont ni les plus célèbres d’Hoffmann, ni les plus envoûtants, comparés par exemple au Vase d’or ou bien aux Elixirs du diable. Ils s’éloignent quelque peu de l’écriture habituelle de l’illustre romantique allemand par leur forme et leur contenu.
Ici, point de recherche symbolique avérée, ni de mystérieux messagers inquiétants ou d’elfes protecteurs, ni même de breuvages aux effets imprévisibles. Ce qui est mis en avant, c’est une déconstruction de façon quasi parodique de l’écriture des romantiques allemands. C’est incroyable et déroutant !
Par exemple, dans le premier conte, les Méprises, la course poursuite délirante du baron Théodore de S… pour retrouver la propriétaire d’un portefeuille bleu à fermoir en or, oublié sur un banc, est avant tout un hymne au désordre et à la cacophonie. Récit disloqué, récalcitrant, coloré, rapide, absurde même, comme laissé hors du contrôle du narrateur, qui nous entraine dans un jeu de marionnettiste où c’est au lecteur de résoudre l’énigme comme de compléter l’histoire, ou plutôt de la construire pour lui donner un sens.
Un livre dont le lecteur serait le héros en quelque sorte !
Cela semble être la volonté d’Hoffmann qui s’écarte d’une écriture qui voudrait en première intention raconter pour proposer une simple exaltation, ou une exacerbation d’une écriture afin de simplement la faire jouer, ou rouler sur elle-même comme une boule de neige hystérique. « Ainsi vont les choses en ce monde : ce qu’on poursuit le plus avidement est ce qu’on obtient en dernier lieu; ce qu’on ne cherche pas se présente de soi-même, le hasard est un dieu malin ».
Le hasard, voici peut-être la clef de ces derniers écrits d’Hoffman qui se rapprochent étrangement de l’écriture surréaliste un siècle avant André Breton et ses amis.
C’est renversant et fascinant que de lire cet Hoffmann-là, qui, après avoir écrit des dizaines de contes symboliques et narratifs où les rêves révèlent souvent des résolutions inattendues, nous précipite dans un abîme sans fond de non-sens et de contre-sens. Hoffmann use des rouages comiques et théâtraux d’une Comedie del arte qui s’illumine comme un feu follet sur un tapis volant, sans autre raison que vouloir nous surprendre.
Il faut parler pour parler écrivait Novalis. Hoffmann suit son chemin en écrivant pour écrire avec humour débridé, enchaînement à perdre haleine hors de toute cohérence recherchée, et dérision dévastatrice pour nous faire entendre la musicalité du mystère de la création en mouvement. Entre rêves éveillés, somnolences à profusion, songes désarticulés, l’auteur nous ouvre les portes venteuses des racines de son écriture magique : l’envol des silences dans le ciel inaccessible d’oiseaux multicolores.
Parfois, dans ces contes grecs on retrouve le Hoffmann que l’on connaît, posé et narrateur, avec un humour maîtrisé : « Le postillon sonna joyeusement le cor, et la voiture partit au galop pour Patras par la porte de Leipzig ». Cependant, dans le fond, dans ces deux ultimes contes écrits, ou plutôt volés au silence, « l’énigme est encore à résoudre », Hoffmann ne dévoile rien, il court après son génie en nous léguant des éclats lumineux qui perdurent longtemps tels des lutins dans la nuit de nos rêves.
L’éclair me dure écrira René Char un siècle et demi après Hoffmann. Cette fulgurance pérenne se présente comme jamais dans ces contes.
Du merveilleux à l’état brut !