44. On était des loups, de Sandrine Colette, éditions JC. Lattès, 2022, 200 pages, 19,9€ 

On était des loups est un récit à couper le souffle du lecteur. Il brasse sa sensibilité, embrasse son cœur dans un spasme qui ne se relâche pas et le débarrasse des oripeaux des apparences convenues. C’est un roman qui prend aux tripes sur la relation père-fils au cœur de montagnes hostiles, isolées, et au travers d’une errance qui deviendra fondatrice d’un lien indéfectible.

C’est par une écriture inventive, cérébrale, qui réduit la ponctuation à son minimum afin de restituer au plus près la vitesse des émotions ressenties et  les pensées contradictoires d’un père en colère qui éprouve successivement, et souvent en même temps, une peur instinctive, un chagrin immense, une violence inassouvie, une culpabilité insurmontable et, surtout, une rage solitaire d’avoir perdu son épouse et de se retrouver seul avec un fils dont il ne sait quoi faire tellement la charge lui semble lourde, inenvisageable au regard de son mode de vie et de sa colère.

La langue de Sandrine Colette pour exprimer l’urgence qui « ici n’existe pas soit on est vivant soit on est mort, il n’y a pas beaucoup d’entre-deux » est celle d’un monologue défilant dans le crâne qui court comme de l’eau claire, glacée, que rien ne peut retenir. Les mots deviennent des lignes de fuite pour éviter ce qu’ils désignent de si tranchant et violent : une course le long du mur d’une réalité inacceptable. 

Aru, « le môme » comme son père le nomme, est traumatisé, « la plupart du temps il ne parle pas, il écoute le monde ça se voit dans ses yeux » et « les loups chantent au loin ».

Tuée par un ours, Ava a juste eu le temps de protéger son fils Aru, 5 ans, replié sous elle, avant de succomber à l’attaque.

Lorsque son mari, chasseur, traqueur, trappeur des grands espaces isolés découvre Ava morte et son jeune fils, il ne peut plus raisonner. Il s’enfuit avec lui avec l’idée de s’en séparer car il ne peut assumer la perte d’Ava, son impuissance et son chagrin. Il est ivre de douleur. La violence intérieure est telle « qu’à partir de ce moment je n’ai plus qu’une idée en tête et c’était me débarrasser du môme il me ramenait sans cesse à la mort d’Ava ». « Aru c’est la naissance de la peur dans ma tête ». 

Que faire sinon emmener son fils accompagné par ses deux chevaux, les « gros », Dark et Ball, pour le confier à un membre de la famille en ville. Cependant, après être descendu de la montagne après 6 jours de marche, c’est non : « Ce gosse il a un père c’est la seule chose qu’il a répétée, c’est la seule chose qui compte » s’entend-il dire.

Ils repartent et empruntent un long chemin qui les conduit au lac qu’Ava aimait tant, aussi large qu’une mer. Et là, dans une pulsion de fuite et d’oubli « alors que tout s’est bloqué dans son cerveau », il va chercher à noyer son fils avant de se réveiller à temps de son cauchemar et le libérer. Scène primitive de l’amour paternel enfin délivré, sauvé in extremis par le frôlement de l’infanticide, « il n’attend que ça, ce que je fais là, et c’est d’ouvrir les bras pour qu’il s’y jette et il se jette, et mes bras je les referme autour de lui comme si c’était un oiseau blessé on y est ».

La route escarpée est encore longue avant le retour à leur cabane car « la foudre éclate le ciel et fait trembler nos cœurs », mais « Aru à présent je n’espère plus qu’il se perde ce serait même le contraire, je m’assure qu’il est là derrière ». Ils seront recueillis par un vieil homme, sorte d’ogre visqueux, qui empoisonne le père pour chercher à kidnapper le gamin qui finira… par sauver son père.

Roman d’apprentissage de la paternité et roman d’aventures et de montagne, c’est une merveille qui fait percevoir que « parfois aussi la vie te demande plus que tu ne peux ». Ce récit singulier, poignant, dans un style novateur est une tragédie de la fragilité. « On était des loups et les loups étaient des hommes ça ne faisait pas de différence on était le monde ».