26. Partie italienne, d’Antoine Choplin, éditions Buchet-Chastel, 2022, 168 pages, 16,50€
A l’issue de la lecture de ce roman faussement léger, construit comme une partie de jeu d’échecs – ouverture convenue comme un manège enchanté, mélange de stratégie intuitive et de tactique emberlificotée en milieu de récit et finale incertaine – quelque chose d’enfoui profondément en nous brûle sans se consumer et fixe longtemps l’horizon de notre âme telle une statue !
Peut-être est-ce la magie du coup de foudre qu’Antoine Choplin sait nous faire ressentir par le travail d’une écriture qui ne fait qu’effleurer ses éclairs ?
Sans doute est-ce le bouquet des arômes du vin au goût de « foin frais » mêlé au mouvement magistral des pièces sur l’échiquier d’un grand maître d’échecs disparu dans un camp juste avant la fin de la guerre.
« Même pas mort » revient comme une litanie mystérieuse pour nous indiquer le chemin ouvert par le cosmologue et philosophe Giordano Bruno, brûlé vif en 1600, dont la statue qui trône place Campo de Fiori à Rome est convoquée tout au long du récit. Elle nous indique que l’humanisme, l’amour et la connaissance sont les seules figures qui se transmettent et nous rendent humains, même après notre disparition.
« Même pas mort » est aussi le nom de l’atelier d’un des deux personnages, Gaspar, artiste reconnu en France et homme sans qualités autre que celle de joueur d’échecs ambulant en Italie.
Les protagonistes, Marya l’œnologue et Gaspar le sculpteur, se rencontrent dans une Rome baignée de soleil, le temps d’une partie de jeu d’échecs qu’ils construisent passionnément et qui se révèlera à plusieurs entrées pour son étude complète. Ils jouent aux échecs pour avancer avec autant de légèreté qu’ils respirent.
C’est simple, c’est beau, aussi espiègle et inattendu que l’élégant mouvement du cavalier sur l’échiquier ! Un vrai roman métaphysique aux allures d’enquête policière où l’amour lie les événements comme l’espace unit les mouvements, noirs et blanc, le temps d’un tango éblouissant.
Les déambulations nocturnes dans Rome sont des hymnes à l’errance et à l’inconnu de l’amour. « Au beau milieu de la nuit, l’ocre des façades est si lumineux que nous ne pouvons même pas les fixer du regard… sans parler des tourbillons sculptant en creux la surface des eaux du Tibre et dans lesquelles disparaissent en silence des grappes de passants ».
La quête personnelle de l’énigmatique Marya, liée à l’histoire dramatique de son grand-père, ne pourra se résoudre que par les sortilèges d’une cérémonie du thé façon partie d’échecs jouée dans le passé, mais savamment restaurée dans un présent au goût d’avenir.
J’ai songé à Kawabata dans la façon dont les personnages communiquent l’air de rien; ils dialoguent, ou jouent, pour faire surgir non pas du sens mais l’évidence d’un lien indicible.
Un court roman d’une grande finesse qui fait écho avec légèreté et gravité à la puissance d’une rencontre.