Voyage au mont Tamalpaïs d’Etel Adnan

24. Voyage au mont Tamalpaïs d’Etel Adnan, Manuella Éditions, 2021, 98 pages, 19€ chronique 1

Etel Adnan nous livre dans ce récit lyrique, aux accents incantatoires, des réflexions en forme de courts textes fragmentaires que lui évoque sa proximité de vie avec le mont Tamalpaïs qui culmine à quelques centaines de mètres au-dessus de la baie de San Francisco.

Ne vous y trompez pas… cela commence en prose interrogative, initiatique, à l’allure innocente façon Petit prince de Saint-Exupéry où le personnage central prend la forme du mont Tamalpaïs. Celui-ci nous interpelle, « ses pentes convergent vers le sommet comme pour une réunion tribale » car « il ne faut pas le gravir avant de s’assurer qu’il a besoin de vous », en nous faisant même douter de son existence sous une autre forme que picturale en changeant en permanence de couleur selon le regard qui le porte : « gris de velours » quand il vous invite à le gravir, « blanc laiteux » lorsqu’il prend la figure d’un dieu, « pourpre » quand il irradie la baie et comme un animal en transparence si Tamalpaïs souhaite laisser « possibilité à un ange de traverser l’air ». 

Mais rapidement, à la vitesse du point « qu’on ne peut penser que mobile » comme le notait Novalis dans ses Fragments, Etel Adnan nous entraîne dans la plasticité de son travail qui pense la peinture, avec ses amis, sous forme d’atelier au pied de la montagne. Elle nous convie alors « sur une feuille de papier où des ombres sont tombées », ou bien « sur une toile où vous pouvez faire descendre un ange ». 

Etel Adnan invitent dans son récit les peintres Paul Klee, ou Cézanne, comme le poète Novalis, qui savent que le regard est d’abord un volume, un espace, ou un repaire angélique pourrait dire Adnan qui crée une matière nomade à voir avant de se confronter à la réalité quotidienne. 

Voyage au mont Tamalpaïs crée l’amorce d’une langue au son merveilleux qu’on ne parle qu’entre peintres et poètes, comme si « les couleurs avaient le pouvoir de briser la barrière du temps et de nous emporter au-delà des espaces les plus lointains ». Langue singulière, unique, émouvante pour décrire, ou esquisser, sans pouvoir la cerner, l’énergie du rêve en train de se faire et ses formes à la lumière fugitive. L’espace du rêve qui emmagasine cette matière angélique (ou ce vent qui sépare pourrais-je oser dire) est omniprésent dans ce récit illuminé par les couleurs invisibles de la création. 

Sans doute, la multiculturalité de l’autrice (qui se situe dans une mixité entre Grèce, Syrie, Liban, France, Etats-Unis) et ses larges spectres artistiques et philosophiques ne sont pas étrangers à sa faculté de réunir ce qu’elle nous offre : « Voir, afin de peindre. Peindre afin de voir »

Ce récit poétique plaira aux amoureux d’une poésie qui dessine la pensée comme un rêve éveillé.