23. L’homme au cheval blanc, de Theodor Storm, édition Sillage, 2018, 183 pages, 13,50€
Le plus célèbre et le dernier récit de Storm, achevé en 1888, année de son décès, L’homme au cheval blanc fait partie des récits les plus extraordinaires de la littérature post romantique allemande.
Prodigieuse langue tournoyante qui enveloppe le lecteur du début à la fin pour le faire vivre dans l’immensité d’un projet titanesque de construction d’une digue par le héros Hauke Haien afin de protéger un polder.
C’est une course contre la montre de la montée des eaux. C’est une course échevelée sur un cheval blanc immense, fier, fidèle, énigmatique et de plus en plus désespéré qui patape (ainsi que l’exprimerait Giono) à fond les manettes comme Tornado, la monture de Zorro, le long d’une ligne de séparation impossible.
Les grands vents de l’hiver, l’eau aux reflets sombres et menaçants, les galops nocturnes et la solitude d’un homme prêt à tout pour mener à bien sa folle entreprise sont au rendez-vous pour nous envahir d’une irrésistible envie de conjurer, puis de fuir l’inexorable dénouement.
Dans un bruissement assourdissant, Théodor Storm nous entraîne sur les hypothétiques lignes de crête de la lande de nos rêves. Le personnage ne renonce jamais, il insiste pour ne jamais rompre le mouvement de la nuit balayée par les tourments de l’eau bouillonnante d’une vie dévastatrice, vouée à se rompre.
Un récit fantastique qui court en nous éclaboussant de son énergie rugissante. Hauke Haien défie toutes les rationalités humaines et matérielles pour achever sa mission contre vents et marées. Le style quasi-gothique, brûlant et envoûtant de Storm évoque la tempête shakespearienne qui cogne nos crânes devant des éléments déchaînés qui nous dépassent au galop.
Trop rapide à suivre, trop lent à maîtriser, L’homme au cheval blanc nous plonge dans l’univers mental de la pensée qui cherche sa juste mélodie pour nous accompagner vers ce qui motive l’action de nos vies. Ce récit haletant nous grandit car il se cabre, comme le cheval de Hauke, pour faire émerger le conflit entre soumission à l’ordre établi et volonté de rompre l’évidence du destin.
Un raz-de-marée fracassant à lire pour nourrir votre imaginaire ! Tout lecteur aura la curieuse impression, au fond de la bibliothèque de son âme, d’avoir déjà lu ce qui s’offre à lui, une nouvelle fois, sous une forme réjouissante et dantesque.
On vole sous le ciel, plus qu’on ne lit, lorsqu’on découvre L’homme au cheval blanc, réédité récemment par les éditions Sillage dans la remarquable traduction de Raymond Dhaleine.