22. Histoire sentimentale, d’André Dhôtel, Lettres Vives, 2022, 48 pages
Cette courte nouvelle a réactivé mon désir de relire Dhôtel. C’est la première qu’il ait publiée, elle est un peu maladroite, mais elle est déjà très révélatrice de l’univers dhôtellien. Et le fait qu’elle ait échappé à toutes les recherches et recensions quand il s’est agi de rassembler son œuvre et réunir ses nouvelles, et soit finalement exhumée par un membre de La Route inconnue*, me la rend plus sympathique encore.
Je ne suis même pas sûr qu’elle puisse servir de bonne introduction à la découverte du prolifique romancier ardennais. Il y manque les descriptions de ces errances enchantées dans la nature, des incertaines amours adolescentes qui font l’enchantement de ses livres, celles-ci lui ayant valu d’être catalogué à juste titre comme l’écrivain du mystère et du merveilleux, sur un créneau qu’il dispute d’ailleurs à Henri Bosco.
Ici l’atmosphère penche plutôt du côté de l’absurde ou d’un Beckett naïf. Comme souvent, l’intrigue ou le thème sont de peu de poids. Il est question de deux associés « qui accomplissaient chaque semaine un circuit dans les villages du canton afin d’y écouler les articles de leur épicerie. »
Pour ce faire, ils ont recours à un véhicule hors d’âge, un peu comparable à une grande cage à lapins montée sur roulettes ou aux automobiles qu’on aperçoit dans les films de Chaplin. Son moteur connaît des pannes dont les réparations sont longues et fastidieuses. Si bien qu’ils rêvent d’un véhicule neuf, sans pouvoir se défaire de celui-ci, mais enclins à le pousser à bout, à négliger les consignes les plus élémentaires de son entretien.
Jusqu’à ce qu’il connaisse une fin assez pitoyable : « La camionnette crépitait comme une fusée du quatorze juillet. »
Quand ils disposeront d’un camion flambant neuf, leur satisfaction sera aussi brève que grande leur désillusion. Plus de haltes obligatoires au sommet des côtes pour fumer une cigarette, plus de conversations en chemin avec des laboureurs qui allaient à la même vitesse, plus de surprises ! « Il faut reconnaître que cette grande carcasse s’harmonisait avec la nature. Elle se balançait comme au gré de la brise. Des oiseaux venaient s’y percher. »
Ce sont de telles phrases, au style si particulier, parfois un peu de guingois ou très légèrement gauchies, comme éclairées de l’intérieur et d’une admirable simplicité, qui nous ont ébloui : « Un matin de printemps, ils partirent avec une gaité inaccoutumée, parce que le ciel avait un éclat merveilleux. Les villages sur les collines ressemblaient à des peintures. » Ou, plus loin : « tous deux roulèrent une cigarette en considérant dans le fossé la flore timide du printemps. » Le fait aussi que Dhôtel, dont l’intérêt pour la mécanique et la ligne des modèles devait être assez limité, soit contraint de se pencher sur cette problématique, nous a aussi beaucoup réjoui.
Pour qui a lu L’Homme de la scierie**, Bernard le paresseux*** ou un de ces nombreux récits que baigne la lumière de la Grèce, cette drôle d’histoire sentimentale envers une guimbarde aura le charme de ces paysages qui annoncent la mer, ou de certains peintres à la manière un peu tremblée avant qu’ils ne rejoignent l’abstraction ou la pleine maitrise de leur art.
*nom de l’Association des Amis d’André Dhôtel
**Gallimard, 1950
***Gallimard, 1952