21. Une histoire d’échecs – la vie chaotique d’un alpiniste, de Victor Saunders, éditions Nevicata, 230 pages, 2021, 19€
Il est très rare, pour ne pas dire unique à ma connaissance, de plonger dans l’autobiographie d’un grimpeur de réputation internationale qui ne cherche pas à relater ses exploits, mais plutôt les relations humaines nouées, ses échecs et son attachement pudique à l’exercice d’équilibriste sur des lignes de fuite.
De fuites, il en est beaucoup question dans ce livre de Victor Saunders. Et je ne suis pas convaincu que l’auteur en ait autant conscience que le lecteur. Fuite de la vie classique et banale d’un étudiant londonien en architecture pour grimper à perte de vue ; fuite de Londres pour le Japon et fuite du Japon sur un cargo en tant qu’aide-graisseur ; fuite devant la réussite de l’exploit d’atteindre les sommets moins propices à l’introspection et à la réflexion que des échecs accomplis ; fuite du déterminisme familial, tout en retrouvant le goût pour les déambulations nomades de son père ; fuite enfin de tout ancrage social pour respirer avec modestie et simplicité, rarement en solo, le grand air des falaises britanniques, des montagnes alpines et des massifs himalayens, parcourus tout au long de dizaines d’années de pratique en tant qu’explorateur ou de guide de haute montagne.
Ses échecs pour arriver aux sommets sont au centre de ce récit attachant, intimiste, enveloppé d’un style empreint d’un humour britannique si allusif qu’on ne sait jamais vraiment sur quel pied danser. Les motifs en sont nombreux : avalanches, sauvetages de collègues, matériels défaillants, conditions météorologiques, erreurs de voies d’approche, maladies, épuisements, drames humains, mais la véritable raison de ses exploits inachevés, est que pour Victor Saunders l’appréhension de la montagne est telle une position de jeu d’échecs en Zugzwang : lorsqu’on ne peut ni avancer, ni reculer, il faut savoir attendre car « aucune position n’est mortelle… jusqu’à vous ce que soyez forcé de jouer ».
Sa discrétion, jusqu’à préférer grimper des sommets himalayens vierges et ignorés comme « la montagne inconnue » (en fait le Sersank) ou « la montagne sans nom » (en fait le Chamsen), sa fidélité en amitié avec ses amis grimpeurs (Mick, Rafaël, Andy, John), et ses pérégrinations chaotiques : « aller au bon endroit, au bon moment, avec de bons compagnons est tout ce qui importe vraiment » sont les valeurs profondes de Saunders, plutôt que toute volonté de performance.
Ce livre révèle l’un des secrets de l’explorateur aguerri et du nomade alpin : il découvre, marche, risque sa vie, grimpe non pour l’exploit, ou bien la reconnaissance, mais pour revivre à chaque fois l’instant perdu de l’émotion de la première fois.