Les vanilliers, de Georges Limbour

14. Les vanilliers, de Georges Limbour, Gallimard collection l’Imaginaire, édition de 2007, 185 pages, 11,15€ chronique 2

Douceur du chocolat, arôme de la vanille, plaisir du climat tropical et de ses eaux bleues… rien de tout cela dans ce récit sinueux, vénéneux et coloré de Georges Limbour. 

Histoire de la plantation des premiers vanilliers en Amérique du sud qui refuseront longtemps de délivrer le parfum enivrant tant attendu. Dans ce magistral conte exotique, les personnages – le propriétaire odieux et sirupeux Van Houten, le directeur dépressif de la plantation De Bonald, son épouse qui décède en emportant ses secrets de flagrance, sa fille fébrile et énigmatique Jenny, Siera la servante et bien d’autres… –  sont comme englués, à cloche-pied, dans une tourbe doucereuse et enveloppante qui exhale leur privation de liberté. Ils sont tous, de manière différente, sous l’emprise du climat, de leurs rêves, de leurs deuils, de leurs projets insensés, de la violence sourde des relations humaines et de l’isolement.  

« les rêves prennent parfois de drôles de tournures » comme l’écrit Georges Limbour et ce récit étincelant dans sa forme poétique et dans sa psychologie des personnages nous rappellent les romans de Conrad (La Folie Almayer, Au cœur des ténèbres, pour n’en citer que deux) dans lesquels les personnages ne peuvent que rarement s’émanciper de la terreur de leurs actions et de la complexité de leurs relations.

Etincelant récit car ses mots ont la force de leurs couleurs et deviennent comme des plantes, une forêt aux figures légères, fantomatiques, dramatiques qui dessinent un horizon poétique, comme disparu au lointain, avant de réapparaître avec vigueur pour s’éteindre à nouveau. Un jeu du chat et de la souris entre le sens et l’absence, entre la mort omniprésente et le parfum ensorcelant de la vie sous la forme de l’arôme inoubliable de la gousse du vanillier.

Cet inestimable bijou que construit et nous offre Georges Limbour est une sorte de conte maléfique, envoûtant, où la mort plane comme un oiseau insouciant dans les couleurs pastel du monde tropical.

C’est une merveille à lire car nous ressentons au plus profond de nous-mêmes la rage que les personnages ressentent pour essayer vainement de se libérer de leur folie naissante due à leur incapacité à communiquer pour dissimuler leur solitude.

Et c’est à travers ce qu’il y a de plus doux, de plus familier, le parfum de la vanille, sorte de madeleine proustienne, que Georges Limbour joue à nous faire plonger avec rudesse et brutalité, au tréfonds de son art poétique peuplé des couleurs de son île au trésor aux lianes littéraires torsadées et entrelacées. 

A lire de toute urgence pour écouter les vagues bleues de notre enfance perdue à jamais et ses mots imprononçables.