La Traversée de Bondoufle, de Jean Rolin

18. La Traversée de Bondoufle, de Jean Rolin, éditions P.O.L., 2022, 208 pages, 19€ chronique 2

Dans ce récit d’itinérance solitaire dans la zone dite péri urbaine qui encercle Paris, celle en gros qui établit une ceinture qui relie les aéroports (ou aérodromes) de CDG, St Cyr, Toussus-le-Noble, Orly, Le Bourget et d’autres plus confidentiels, Jean Rolin nous entraîne à voir, ou à découvrir, un large chemin qui s’enroule sur lui-même comme une longue coquille d’escargot.

Avec une précision chirurgicale, Jean Rolin décrit ce qu’il visualise lors de ses pérégrinations de marcheur durant le confinement. Ses descriptions font songer à Alain Robbe-Grillet qui, à force de dessiner des détails réalistes dans nombre de ses romans comme un Régicide ou les Gommes, ouvre un espace universel, inconnu, souterrain à la vie quotidienne. Se révèle alors un espace de rêve, fantomatique : évidence sous-jacente aux simples apparences.

Dans cette bande de territoire qui n’est ni encore tout à fait la campagne, ni plus vraiment la ville, mais un no man’s land aux lignes incertaines, Jean Rollin longe des décharges, des champs de colza ou de maïs, des zones industrielles délaissées, des jardins ouvriers, des carrefours, pistes cyclables, grillages et clôtures, barrières de bétons, des bois, des camps de nomades contemporains, des immeubles tristes et même des golfs. Mais aussi des quartiers pavillonnaires, des lignes à haute tension, des châteaux d’eau, des étangs perdus, des EPHAD et hôpitaux autant que des prisons, des voies de chemin de fer, hangars déserts, et même des avions qui survolent trop rapidement cette zone limitrophe, improbable, entre deux mondes qui s’ignorent.

Des couleurs pâles (jaune, mauve, orangée, gris-bleu, vert argenté) entourent la grisaille de cette zone frontalière trop peu reconnue. C’est comme une ligne de partage des eaux dans la géographie de l’esprit des choses. Récit lancinant, lent, dans une langue hypnotique qui s’insinue dans notre vécu.

Au hasard de son cheminement, Jean Rolin surprend les citoyens centraux de cette étroite contrée qui cerne le grand Paris : des lapins sautillants, des chevaux qui paissent, des pigeons et rapaces qui surgissent, des chevreaux et moutons apaisés, des vaches tranquilles comme des papillons délicats. C’est très beau !

Dans la série que tous connaissent de près ou de loin, Le Prisonnier, l’unique protagoniste ne peut jamais s’extraire de la ville, quelles que soient ses vaines tentatives. Dans La traversée de Bondoufle, Jean Rolin nous fait voir et entendre que lorsqu’on parcourt ce territoire péri urbain, livré à lui-même, on ne peut plus facilement ré-entrer dans la campagne ou dans la ville récemment quittées, mais qui deviennent aussi éloignées qu’une côte lorsqu’on navigue en pleine mer. On perd ses repères et on déambule à vue, dans un ailleurs qui n’est ni un dehors, ni un dedans.

« De ce champ, comme de beaucoup d’autres auparavant, j’avais noté que sous le ciel redevenu bleu et traversé de gros nuages blancs, le vert tendre des jeunes pousses contrastant avec le vert plus sombre des bois que l’on distinguait à l’arrière-plan, il répondait à tout ce que l’on est en droit d’attendre d’un champ ».

C’est comme si la langue de Jean Rollin s’inspirait du serpent dans le Livre de la jungle ! Elle nous charme, nous traverse, nous ensorcèle et ne nous quitte plus.

Modiano est un écrivain de l’intériorité exposée. Jean Rolin apparaît dans ce récit, en mode carnet de randonnée, comme écrivain du no man’s land extériorisé. Cela ne ressemble à rien d’autre et c’est un bonheur de se laisser entraîner dans le flot de la topographie de cette zone grise aux couleurs délavées.