Jim Palette - Lutz

12. Lutz, de Jim Palette, éditions Exils, 90p, 2021, 12€, chronique 2

Aloïs Lutz, jeune patineur autrichien a créé, au début du vingtième siècle, une figure artistique nouvelle, aussi légère, fugace et fluide qu’une barbe à papa.

Elle s’est réalisée comme malgré lui, hommage à son corps défendant mais tournoyant sur un habile déclic d’un patin sur la glace pour créer la pirouette insensée « Un saut assisté d’un rebord externe avec une révolution vers le bord extérieur arrière de l’autre pied ». 

Ce n’est que longtemps après son décès brutal à 22 ans que cette gestuelle gracieuse, complexe, a été homologuée et intégrée dans les compétitions de glace. On parle aujourd’hui de double, ou de triple lutz.

Jim Palette entreprend dans ce livre de faire ressentir la genèse possible et l’approche du patineur Lutz, si oublié qu’on pourrait même douter d’une existence autre que fictionnelle.

Car c’est bien par des formes possibles, enchevêtrées, joyeuses, improbables qui tournent que Jim Palette aborde l’indescriptible mouvement de Lutz dans le monde.

Rien de bien connu à son sujet… ce qui permet à l’auteur de décrire le contexte qui permet à Lutz de prendre son envol quasi-angélique. Il tourne autour du jeune patineur tel le vent fouetté par les billes de glace que déplace le saut en se réalisant.

En courtes scènes qui se succèdent, il approche la forme du saut improbable. Jim Palette décompose la figure par touches sculptées dans des mots, certes écrits, mais d’abord peints par impressions pulsées.

Des miniatures (ou trouvailles) superbes, le tout étant destructuré avec une logique personnelle :

« – l’auberge du milieu-de-la-route 

– l’hôtel de la pensée 

– ce qui m’amène ici c’est un pas 

– les fleurs des champs semblent toujours entretenir un dialogue avec le vent 

– les saisons de la pensée 

– il arrive que certaines créations effacent leur auteur ».

Une grande poésie dans ce récit décalé, hors de toute chronologie, avec une féérie d’images, c’est tout bonnement merveilleux et allègre.

Il est certain que Jim Palette s’attache moins à la matière littéraire qu’à sa forme possible, à sa potentialité allusive et donc non descriptive. C’est en cela que le court récit décousu, et presque incongru parfois, nous laisse en attente de ce qui n’arrive pas… car les mots dérivent en forme plastique. C’est l’originalité du texte et sa force de nous laisser sur notre faim pour suggérer l’effacement par effondrement du contenu. Tout un programme dont la figure de Lutz est l’artisan, à l’insu de son plein gré.