7. Ombres sur la tamise, de Michael Ondaatje, éditions points poche, 310 p, 2020, 7,40€
Certaines lectures de romans s’apparentent à un rêve éveillé dont on ne sort pas indemne, ni tout à fait le même. Ombres sur la tamise de Michael Ondaatje est de celles-là. Sans doute parce que le récit se déroule essentiellement la nuit, sur les bords de la tamise, dans le Londres d’après-guerre, ou dans des pièces comme repliées sur elles-mêmes, sombres et à l’écart du quotidien. Mais, surtout, parce que les jeunes héros, les enfants Rachel et Nathanaël, brusquement livrés à eux-mêmes, cheminent et grandissent au gré des aventures d’un rêve qu’ils n’ont pas choisi, mais dont ils doivent accepter les règles et les personnages énigmatiques qui les entourent, souvent de manière bienveillantes mais toujours étranges.
Il y a du Alice au pays des merveilles sans ses dérives hallucinatoires, comme du James Bond avec son atmosphère de roman d’espionnage, mais sans motifs apparents.
Ombres sur la tamise et ses jeunes protagonistes nous transportent dans une quête de sens où tous les dérivatifs de trafics, de fuites, d’habitations à quitter précipitamment, d’ombres et de menaces supposées, de personnages plus extravagants et hauts-en-couleur les uns que les autres, créent des fausses pistes qui aident pourtant à saisir les tenants et aboutissants de ce véritable roman policier, structuré comme un jeu de l’oie, où les parents de Rachel et Nathanaël se sont volatilisés du jour au lendemain les laissant aux prises avec eux-mêmes, avec leurs souvenirs heureux et une ribambelle de veilleurs attentifs afin qu’ils ne leur arrivent rien.
C’est un roman d’apprentissage où se dessine, en filigrane, la figure du père sous sa forme aventureuse et grise qui protège, et celle de la mère sous l’allure de l’espoir et de la tendresse du regard dans les lumières de la nuit.
Les enfants ne subissent rien, ils agissent tels des elfes urbains dans un décor de film en noir et blanc et mûrissent plus vite qu’à l’accoutumée en faisant signe à notre enfance souvent perturbée et trop rapidement disparue.
Un roman d’action puissant, nocturne mais enjoué, proche d’une intrigue digne de L’espion qui venait du froid de John le Carré avec, ici, l’insouciance de la jeunesse qui joue à plein, dans une langue éblouissante et fantomatique, pour résoudre l’énigme de l’évanouissement de parents qui, vous le découvrirez, continuent mystérieusement à veiller sur leurs enfants en se livrant eux-mêmes à plus grands qu’eux.
Une véritable enquête policière, haletante, dans un Londres nocturne et interlope !