Albane Prouvost - Renard poirier

4. renard poirier, d’Albane Prouvost, éditions la Dogana, 2022, sans pagination, 25€, chronique 1

Le renard surgit, court, revient en position de poirier, ou bien d’aller-retour bondissant…

Albane Prouvost dans ce conte au rythme poétique et musical, nous projette en avant, jamais en arrière, sans que nous puissions saisir le sens des mouvements qui nous animent et désarticulent joyeusement notre esprit.

C’est une petite merveille qui suggère l’histoire d’un renard poursuivi par des couleurs et la répétition ineffaçable de mots qui jouent à être ce qu’ils ne sont pas. L’horizon est une neige filante, parfois inquiétante, qui nous rappelle aussi bien les sautillements alertes de « Pierre et le loup », que la crainte de se faire dévorer comme dans le « Chien des Baskerville ». 

Une citation, presque continue, en forme d’exemple:

« … pas un renard pas une maison
renard sans couronne de neige entre dans la bonne maison
renard annonce
autre maison autre raison
… renard sans renard entre dans la bonne maison
… attaque la première raison de ta maison
… les renards perdront
les poiriers perdront
… les renards en forme de neige intermédiaire
ne perdront pas… »

J’adore ! 

Toutefois, ce qui sautille ici est une scie musicale qui nous envoûte, nous enlace, et que nous ne pouvons suivre car elle procède par allusions trop véloces. Et notre crainte est celle de l’effondrement, ou de l’arrêt brusque du texte sans que nous ayons pu en comprendre toute la magie.

Car c’est bien de magie langagière qu’il s’agit ici. D’aucuns nommeraient poésie ce qui est un conte, gai et sombre, rapide et étincelant, que le lecteur construit seul au fil de sa lecture. La poésie est toujours là, magistrale, essence de l’illusion de la relation, ou de la fiction, du lecteur à tout texte. La poésie est donc centrale dans « renard poirier », mais comme décentrée, ou allégée, pour privilégier la fable à construire.

Texte bref, puissant, inquiétant, qui vous attaque autant qu’il vous protège et que vous n’oublierez jamais dès que vous l’aurez approché. Comme Albane Prouvost le met d’emblée en exergue : « Le poirier a tiré sur moi ».

 « renard poirier » est une fable qui se refuse en acceptant de livrer sa seule musique, en notes filantes et cisaillantes. Le reste est à créer par le lecteur. 

C’est stupéfiant !