2. La vieille maison, d’Oscar Peer, éditions Zoé, 190p, 2022, 15€, chronique 1
Peut-être la petite aventure éditoriale qui s’attache à ce livre mérite-t-elle d’être contée en matière d’introduction. Quand Oscar Peer écrit La Vieille Maison en romanche (un romancier romanche, en connaissiez-vous ?) il est alors âgé de plus de 70 ans. Suivra dix ans plus tard sa traduction en allemand, puis juste avant sa mort, à 85 ans en 2013, sa traduction en français qu’il eut juste le temps de recevoir comme un dernier cadeau avant de s’éteindre.
Car si certains de ses livres ont été écrits en allemand, celui-ci, comme la plupart de ses romans, l’est donc bien dans cette langue romane parlée par environ 60 000 locuteurs, surtout dans le canton alpin des Grisons, un canton essentiellement montagneux, mais constitué aussi de hauts plateaux et de vallées profondes, et qui servira de cadre, magnifique, à ce récit, comme cette langue de trame de fond, qui ne cessera d’affleurer sous la traduction impeccable de Walter Rosselli.
Il en demeure quelques survivances ; très peu : « je te crois sans autre ». Pour le reste, de jolies phrases simples et qui suffisent : « ils avaient mangé à l’ombre du sureau » ; « on entend presque le silence »; ou d’autres plus complexes, plus gauchies, comme celle qui figure en 4ème de couverture, que nous vous laisserons découvrir, ainsi que l’excipit, admirable !
Le lecteur ravi tout au long de sa lecture rencontrera sinon des comparaisons parfaites : « le grand pré était lisse et poli comme une table », ou de rares assonances mais qui frappent d’autant plus : « un chemin d’assassins ». Tout cela apporte à l’écriture des éclats, des nuances et des variations pesées au trébuchet.
La dignité des personnages est aussi soulignée par un parler crédible, pourtant parfait mais sans apprêt. On frise parfois la banalité conversationnelle, mais sans jamais y tomber, comme s’il fallait longer les plus humbles choses, traquer les plus modestes gestes. Aller chercher la vie dans les plus petits recoins.
Quant à l’histoire, dont nous dirons peu de choses, elle court tour à tour comme une eau paisible ou celle d’un torrent. Chasper vient d’hériter de son père une maison à l’écart du village, qui menace ruine, grande, ombreuse, fascinante, que l’auteur parvient à hisser au rang d’un personnage vivant, infiniment attachant.
En raison de la pauvreté de notre héros, elle est convoitée par un voisin aubergiste, cupide, retors et puissant. On assiste alors à la lutte de Chasper pour conserver son bien, que ses tribulations amèneront à croiser maints personnages (dont une ancienne amoureuse, ou une touriste allemande, qui révèlent un très fin portraitiste) auxquels l’auteur donne à la fois une dimension singulière et universelle, poursuivant en cela une pratique chère à Giono ou Faulkner qui consiste à dépeindre avec justesse des personnages très ancrés dans un territoire réduit et restreint, comme soumis à un déterminisme local, mais qui finissent par incarner des archétypes plongés dans un monde aux dimensions nouvelles et planétaires.
La résolution, aussi inattendue qu’inexorable, résonnera comme la seule possible, la seule à même d’ouvrir sur tous les possibles.
Ce petit livre, l’air de rien, qui ne hausse jamais le ton, est à situer dans les parages de Proal ou de Ramuz, mais sans l’âpreté, le rugueux du style de ce dernier. Il réjouira les lecteurs les plus exigeants, les amateurs d’intrigues comme les plus réticents au genre que d’aucuns disent déclinant du roman, et les tenants de la modernité comme d’un certain clacissisme. On le dirait fait pour tous, dans sa grandiose simplicité.